jeudi 31 mars 2011

Le fleuve figé


L'exposition "Une ballade d'amour et de Mort" sur l'art pré-raphaélite, qui se tient actuellement au Musée d'Orsay, est étrange. Certaines œuvres sont carrément repoussantes. La peinture pré-raphaélite ne me convient pas. Mais alors, pas du tout. Pourquoi y suis-je allé? C'est que la photographie anglaise de la même époque est passionnante. Sur les photos de paysages (et il y a une belle série de paysages) on voit des rivières presque figées. Le temps d'ouverture était long sur les appareils de l'époque. Du coup l'eau devient crémeuse. Le temps s'arrête assez pour permettre au spectateur d'entrer dans un monde radicalement différent.


Un court poème de Li Qingzhao, poétesse chinoise du 11e siècle pour accompagner:

Je me souviens du pavillon sur la rivière.
Après un coucher de soleil noyé dans le vin,
souvent il m'arrivait de m'égarer.
La fête éteinte, je reviens en bateau,
L'esprit embrumé, je m'enfonce
dans un dédale de lotus.
Comment me libérer?
Comment me libérer?
Les aigrettes blanches
sur le sable de la rive
soudain se réveillent.

(une traduction de Ferdinand Stoces publiée dans "Les fleurs du cannelier", recueil superbe, Orphée La Différence 1990)

vendredi 25 mars 2011

Antoine Watteau et la Perfection du Quotidien


Le Royal Academy of Arts à Londres organise ces jours-ci une exposition des dessins de Watteau et le résultat est somptueux. L'exposition des tableaux au Grand Palais (c'était il y a un bon moment déjà) avait une fois pour toutes dissipé l'idée d'une quelconque frivolité du dessin français au 18e siècle. C'est le mot raffinement qui convient davantage. Il s'agît de pousser le raffinement à son paroxysme. Une fois franchi ce pas on voit la réalité avec d'autres yeux. Voici comment Watteau voyait les Savoyards, des paysans pauvres qui venaient dans la ville pour trouver un peu d'argent:


Ces sourcils, ces ombres sur les épaules. Enfin, ce n'est pourtant pas si difficile de voir cela. Le mot compassion prend tout son sens ici et ceux qui vident les campements de Roms aujourd'hui feraient bien de regarder Watteau au lieu de prendre le dix huitième siècle pour une excuse d'ignorer le monde et de se vautrer dans la frivolité. C'est une question de raffinement, je vous l'ai dit.

jeudi 17 mars 2011

Zia Mohiuddin Dagar, binkar


Le rudra vina (ou bin) est rarement joué en Inde. C'est un instrument peu sonore. Comment l'entendre dans une salle, même petite, sans sonorisation? C'est un instrument par excellence pour la musique de chambre. Zia Mohiuddin Dagar a été un des joueurs de bin le plus célèbre et respecté de sa génération. J'ai pu le voir en concert à plusieurs reprises et les enregistrements: bandes, cassettes, cd's sont aujourd'hui dispersés dans la maison. Je vais les rassembler peu à peu ici.

Pour commencer, l'enregistrement d'un concert à Amsterdam, Pays Bas en 1974. Le raga ressemble un peu à Chandrakauns mais il s'agît sans doute d'une spécialité familiale des Dagar.
(p.s. Dr. Kashyap m'écrit qu'il s'agît du raag Mohankauns. Il faut que je regarde cela de plus près.)

http://www.mediafire.com/?73d323mhiozyh

Un concert dans l'Eglise Moise et Aaron à Amsterdam 19 juin 1982. Il y a quelques semaines je suis passé devant, c'est juste à côté de la Maison de Rembrandt. Plus de programmation de musique depuis longtemps. Ce concert a été édité sur une cassette MA 8508. Le raga est Yaman Kalyan. Shrikant Misra est au pakhawaj


http://www.mediafire.com/?pvrzvcuxu89vuz1

Peu de disques existent. Le premier 33t (LP) avec le raag Gangeyabushan se trouve ici: http://holywarbles.blogspot.com/2010/08/zia-mohuiddin-dagar-gangeyabushan-lp.html
En voici un autre: ECSD 2736 avec les ragas Chandrakauns et Jog ainsi qu'un solo de pakhawaj de Pagal Das:
http://www.mediafire.com/?br2tub53yi4sy

Une cassette HMV STC 04B 7384 avec un enregistrement de la radio indienne (AIR). Le raga joué est Chandrakauns(version moderne). Les scans de la pochette se trouvent dans le dossier.

http://www.mediafire.com/?f2uc7ropez73v

Le 45t EPE 1312 avec raag Todi (l'autre face avec raag Puria reste introuvable dans ma collection. Affaire à suivre...)

http://www.mediafire.com/?q86hjwtauuv3g29

Le raga Pancham Kosh sur un CD français auvidis Ethnic se trouve ici:
http://rootstrata.com/rootblog/?p=1436

D'habitude je ne propose que des enregistrements dont je connais l'origine. Ce n'est pas le cas pour les deux suivants. J'espère ne pas perturber le repos des détenteurs de droits avec d'abord le raag Lur Sarang

http://www.mediafire.com/?lyeuiw0g0e04wh7

puis un enregistrement en concert à l'abbaye de Thoronet 15 juillet 1990, raga Yaman:

http://www.mediafire.com/?h31xcktoqjye81j

mercredi 16 mars 2011

Tout un monde flottant


Ce ne s'est pas
encore passé.
Rien n'est sur pied,
bâti, donné
aux habitants,
Ce n'est pas encore
fini.

C'est à venir,
à éclore,
comme l'eau
qui s'évapore
le matin.

Il faut attendre
la suite,
la floraison.
Rien n'est planté
ou enraciné.

La vie est suspendue.
Elle tombe doucement
en dodinant.


C'est difficile d'imaginer ce qu'on ressent quand la terre tremble. Plus rien ne tient. Quand on descend du bateau on est content d'être sur la terre ferme. Mais si la terre n'était pas ferme?
Ce sont les japonais qui ont inventé l'idée du "monde flottant". C'était pour décrire le monde du divertissement: théâtre, courtisanes. C'était le monde du plaisir. Là où on oublie ses soucis. Les gravures japonaises décrivent souvent ce monde là. Le Musée Albert Kahn à Boulogne organise cette année une exposition de photos du Japon, photos prises il y a presque un siècle. En voilà une, le Fuji Yama au fond, comme chez Hokusai:


C'est à partir d'une de ces photos que j'ai fait le travail en haut de la page. Travail terminé ce jour.

lundi 14 mars 2011

Sous le Volcan, Fernando Prats


L'exposition "Ailleurs", actuellement à l'Espace Culturel Louis Vuitton, contient des œuvres faites dans les lieux lointains, curieusement toutes dans des lieux froids: pôles, haute montagne. L'ailleurs dans l'art contemporain est froid. Voilà une chose utile à savoir.
Parmi les voyageurs j'ai découvert un artiste chilien, vivant à Barcelone: Fernando Prats: Avec des feuilles noircies à la fumée de charbon il est allé du côté du volcan Chaitén au Chili où la poussière volcanique s'est mêlée au charbon. Sur la vidéo on le voit jeter les feuilles dans le vent.


Une recherche sur Youtube m'a fait découvrir une démarche plus poétique encore: Un tableau peint par des oiseaux.



Voilà un travail qui me donne envie d'aller me mettre au travail moi même. C'est jusqu'au 8 mai, 60 rue Bassano, à Paris.

jeudi 10 mars 2011

La décollation de St.Jean Baptiste




Honte

Tant que la lame n'aura
Pas coupé cette cervelle,
Ce paquet blanc, vert et gras,
A vapeur jamais nouvelle,

(Ah! Lui, devrait couper son
Nez, sa lèvre, ses oreilles,
Son ventre! et faire abandon
De ses jambes! ô merveille!)

Mais non; vrai, je crois que tant
Que pour sa tête la lame,
Que les cailloux pour son flanc,
Que pour ses boyaux la flamme,

N'auront pas agi, l'enfant
Gêneur, la si sotte bête,
Ne doit cesser un instant
De ruser et d'être traître,

Comme un chat des Monts-Rocheux,
D'empuantir toutes sphères!
Qu'à sa mort pourtant, ô mon Dieu!
S'élève quelque prière!

(Un poème d'Arthur Rimbaud, pris dans les Derniers Vers)

(encre sur carton, terminé ce jour.)

dimanche 6 mars 2011

Parmesan au cabinet




A une époque où les commissaires sont rois, où la moindre exposition est accompagnée de cartons, de médiateurs et autre effets de mise en scène il est rassurant de constater que on peut encore présenter des œuvres d'art n'importe comment, sans aucune visibilité dans un cabinet de dessins où le mot cabinet prend tout son sens. L'Académie des Beaux Arts de Paris a réussi cet exploit. Les dessins de Parmesan (Girolamo Fransesco Mazzola, dit le Parmesan 1503-1540) exposés ces jours-ci sont présentés dans une salle minuscule, une bonne partie consiste d'ailleurs en gravures de suiveurs plus tardifs. On y trouve quelques beaux dessins pourtant. Et puis, il y a l'atmosphère des cabinets.

samedi 5 mars 2011

Mikko Paakkola: L'Univers en Miniature



Quand on a vu les tableaux de Mikko Paakkola en grand format on risque d'être déçu par les vignettes de l'exposition à la Galerie Vieille du Temple. En grand format les toiles sont comme des reproductions d'étoiles lointaines. En revanche, le petit format ici permet de regarder tout cela de plus près. De voir comment il utilise le support (un vitre, du papier) et, du coup, ce travail qui peut paraître assez froid, minéral, prend une dimension plus humaine. Enfin, on reste dans le registre nordique: froid, peu de lumière, des strates de matière qui pèsent. C'est pas gai. Un hiver en Finlande n'est pas gai non plus. Faut vivre avec.

vendredi 4 mars 2011

Gabriel Metsu: Mauvaises Nouvelles et autres Désagréments



Dans la peinture hollandaise du dix septième siècle les lettres ne contiennent que très rarement des bonnes nouvelles: amant disparu, femme enceinte, honneur perdu etc. Pourtant, les gens font front, personne n'est abattu. C'est comme si cette avalanche de nouvelles fâcheuses n'entame en rien la bonne humeur. La vie est courte, faut pas s'en faire. Les tableaux de cette époque avaient un besoin impératif de dire quelque chose. De donner à réfléchir. Caractéristique hollandaise. Peu de langues ont une telle richesse de dictons, de proverbes que la langue néerlandaise. Je me souviens d'une arrière grand tante qui était abonné au "dicton du mois" et elle recevait tous les mois un bristol avec un dicton qu'elle mettait sur la cheminée. Pour réfléchir. Un vrai Hollandais lève à ce moment là l'index pour donner plus de poids à la sagesse populaire. Et que cela nous serve d'exemple!





La visite de l'exposition de Gabriel Metsu au Rijksmuseum m'a un peu déçu. Parmi les 35 tableaux on trouve 5/6 chef-d'œuvres. Et encore. Ce qui parait admirable sont le plus souvent des emprunts à d'autres peintres, à Vermeer et Terborch surtout. Metsu apparait comme un très bon peintre qui a bien étudié son sujet sans jamais trouver quelque chose qui le met au-dessus des autres.

jeudi 3 mars 2011

Farida Khanum



Une cassette pakistanaise de la seule grande chanteuse de ghazals encore de ce monde. Une musique pour les jours qui rallongent et le soleil qui brille dans le ciel (malgré le froid de la campagne nivernaise et un atelier vraiment glacé).

http://www.mediafire.com/?685d96a1wigll

Le lettré au travail, Gao Xingjian




Dans l'art chinois il est souvent question d'un artiste qui regarde: la lune sur Suzhou, les fleurs de lotus dans les jardins du palais de Han. Il s'agît de décrire quelque chose, de montrer ce que le paysage a changé dans l'esprit du peintre ou du musicien. Regardez les paysages peints dans l'art chinois: il y a toujours dans un coin un petit pavillon avec des gens qui regardent, comme nous, spectateurs, le paysage. C'est sans doute ça, être lettré: avoir un regard sur le monde qui entoure. Voilà une notion qu'il ne serait pas inutile d'enseigner dans nos écoles.
En cela Gao Xingjian, qui expose des peintures à l'encre à la Galerie Claude Bernard, est profondément chinois. Il ne dessine pas des bonshommes dans un paysage, non, nous, spectateurs, nous y sommes nous mêmes. Et c'est très rassurant de se reconnaître.

mercredi 2 mars 2011

Ça tourne en rond



Il y a des années déjà j'ai acheté sur un marché de brocante un livre intitulé "Matière et Présence, remarques sur quelques jades archaïques de Chine". C'est dans ce livre, écrit par Pierre Jaquillard que j'ai découvert les disques hi, huen et huang. Des disques en jades de la Chine préhistorique. L'utilisation en est incertaine. Liens avec le monde des morts, outils chamaniques.
Quelle différence avec un anneau de bricolage? Pierre Jaquillard cite Paul Morand: ce sont les "heures travail", le temps passé à sculpter la pierre, à réfléchir à la raison pour laquelle cet acte est absolument indispensable, qui fait la différence (notion que certains adeptes de l'art minimal feraient bien de méditer). L'art est exactement cela: faire des gestes qui sont nécessaires, qui ne peuvent pas être faits autrement. Et cela doit prendre un certain temps si l'on ne veut pas faire n'importe quoi.



J'ai redécouvert la collection de disques du Musée Guimet cette semaine. Aucune actualité. Cette vitrine est là en permanence. Et en plus, elle sait attendre le temps qu'il faut.